La CISAC et l’UNESCO se focalisent sur la rémunération des créateurs lors de la conférence de Paris

Summary
Régler le problème du transfert de la valeur, c’est assurer l’avenir de la diversité culturelle, tel est le message transmis aux délégués
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Créateurs, diplomates et spécialistes du droit d’auteur se sont réunis à Paris ce lundi 12 juin pour une conférence coorganisée par la CISAC et l’UNESCO sur le thème du transfert de la valeur et des difficultés qu’il crée pour les industries créatives. 

Cette première conférence consacrée à la question s’est tenue au siège de l’UNESCO à Paris et le Président de la CISAC Jean-Michel Jarre, également Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, a joué un rôle central en associant les priorités de ces deux organisations internationales. Elle a permis d’aborder le problème du transfert de la valeur face à l’enjeu de la diversité culturelle en marge de la Conférence des Parties à la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

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En décembre 2016, l’UNESCO a élaboré de nouvelles « Directives opérationnelles » sur l’impact des technologies numériques sur la diversité des expressions culturelles. Ces directives reconnaissent et valorisent le travail des créateurs à l’ère numérique et visent à aider les Parties à la Convention à adapter leurs politiques culturelles à ce nouvel environnement numérique.

La CISAC et ses partenaires mènent une campagne mondiale auprès des pouvoirs publics de tous les pays afin de remédier au transfert de la valeur. Ce problème est au cœur même du débat mondial sur les relations entre services numériques et créateurs.

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Mechtild Rössler, Directrice de la division du patrimoine et Directrice du centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, a ouvert la conférence au nom d’Irina Bokova, la Directrice Générale de l’organisation, tandis que Jean-Michel Jarre s’est joint à la réalisatrice et Ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO pour la liberté artistique et la créativité Deeyah Khan  pour le débat d’ouverture intitulé « Transfert de la valeur : les Défis Mondiaux ont besoin de Réponses Globales ». J.-M. Jarre a attiré l’attention sur les paradoxes économiques du secteur de la création : alors que les dernières études continuent de montrer que ce secteur en devance beaucoup d’autres en tant que moteur de la croissance, les créateurs n’ont jamais été aussi peu rémunérés. Une version adaptée de son discours peut être consultée ici

J.-M. Jarre a souligné comment l’UNESCO peut contribuer à garantir la pérennité de la culture en insistant sur l’importance de protéger le patrimoine culturel intangible des créateurs. « Ce débat dépasse le cadre du droit d’auteur, il s’agit aussi d’une question philosophique qui met en jeu la diversité culturelle. La mission de l’UNESCO est de préparer l’avenir. Assurons-nous que les artistes seront en mesure de créer le patrimoine culturel mondial de demain », a-t-il déclaré. Il a également rappelé le rôle fondamental joué par le secteur de la création dans l’identité des pays en développement. « Moins les artistes des pays en développement sont rémunérés, plus nous favorisons la fragilité de ces pays dont l’avenir dépend tellement des œuvres de l’esprit. » 

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Deeyah Khan, quant à elle, a évoqué ce qu’elle appelle l’« environnement hostile » dans lequel de nombreux créateurs doivent vivre aujourd’hui, la nécessité de se montrer proactifs et la lutte des créateurs pour leur survie.  « Parfois, je me demande si la créativité et l'expression artistique ne deviennent pas des choses que notre culture dévalorise ». Avant d’ajouter : « J’estime qu’il est désastreux que des jeunes pensent que le secteur de la création n’a pas de valeur. Nous ne penserions jamais à ne pas payer quelqu’un pour n’importe quel travail, alors pourquoi ne rémunérons pas correctement les créateurs dans l’environnement numérique ? ».

Un second débat intitulé « Valoriser le travail des créateurs dans un environnement numérique en évolution rapide » a réuni une brochette variée de créateurs et de spécialistes du droit d’auteur autour de la table. 

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Ernesto Piedras, économiste à l’Instituto Tecnológico Autónomo de México et Directeur Général de The Competitive Intelligence Unit, a souligné l’importance des œuvres de l’esprit pour la culture en Amérique latine et présenté les données valables pour le Mexique. Il a souligné que les industries créatives avaient généré pas moins de7,4 % du PIB de ce pays en 2013. Il a souligné que l’étude « Que vaut la culture ? Contribution économique des industries protégées par le droit d’auteur au Mexique » a montré qu’une personne active dans le secteur créatif était « deux fois plus productif » que le travailleur moyen dans la société mexicaine, faisant de ce secteur l’un des plus importants pour l’économie nationale.

Alexandra Bensamoun, Professeur de droit privé à l’Université de Rennes 1 et Directrice du Master de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies à l’Université Paris-Sud a attiré l’attention sur le cadre juridique qui régit actuellement le droit d’auteur et la question de la responsabilité des fournisseurs de services. Selon elle, le cadre juridique actuel ne protège pas suffisamment les créateurs et doit être réformé. Elle a déclaré que la proposition de législation européenne pourrait remédier au problème des « règles de limitation de responsabilité » derrière lesquelles certains fournisseurs de services se cachent pour se dédouaner de toute responsabilité. « Il est nécessaire de redéfinir ce qu’est un ‘hébergeur’ et de faire comprendre à tous que la liberté d’expression n’exclut pas le respect du droit d’auteur. » 

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Crispin Hunt, auteur-compositeur, producteur de disques, Président de l’association britannique des auteurs de musique BASCA  et Membre du Conseil d’administration de PRS for Music , s’est inquiété que de nombreux jeunes artistes commencent à « se laisser dicter leur message par le moyen d’expression utilisé ». « Les artistes en viennent à penser que, si leur œuvre n’est pas choisie pour une pub de Toyota, elle n’attirera pas de revenus. Nous en arrivons à un point où les jeunes vont préférer écrire une chanson qui fait vendre des voitures plutôt qu’une chanson qui touche le cœur. » 

Il a ajouté qu’il est temps que la réglementation « passe à la vitesse supérieure » afin de suivre le rythme des avancées technologiques. « La réalité, c’est que YouTube va engranger plusieurs millions grâce à mon travail alors que je ne toucherai que quelques centaines de livres ». Et de conclure : « Nous avons besoin de l’UNESCO pour faire comprendre à tous que cette situation n’est pas normale et qu’il est du devoir de toutes les parties concernées, des entreprises de technologie au législateur, de se pencher sur la question et, dans l’intérêt du développement culturel mondial, de chercher des solutions pour y remédier. »

La photographe Véronique Raymond-dit-Yvon de l’agence photo Gamma Rapho  a présenté l’industrie photographique comme la « demi-sœur » de l’industrie musicale dans le sens où elle a été la première à être affectée par le nouvel environnement numérique. Elle a attiré l’attention sur le combat des photojournalistes de sa propre agence, qui a réduit ses effectifs de plus de 50 %. « Les photographes peuvent à peine survivre – nous avons absolument besoin d’un cadre qui protège les créateurs. Nous devons faire face à des plates-formes qui nous font directement concurrence. Google Images, par exemple, ne peut exister que grâce aux contenus des créateurs. Tout le monde utilise Google Images mais, dès que vous le faites, vous vous comportez en pirate. Les moteurs de recherche annihilent purement et simplement la source de l’image. »

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Dans ses remarques de conclusion,  le Directeur Général de la CISAC Gadi Oron a affirmé que le problème du transfert de la valeur devait être réglé à l’échelon international et que cette solution passait par la législation. « Qui dit problème mondial, dit aussi solution globale. Partout dans le monde, les États doivent prendre des mesures. Nous sommes face à un problème majeur: nous sommes aujourd’hui sur un marché numérique et les plates-formes ne versent que des sommes minimes aux auteurs. »

G. Oron a également souligné que, vu les failles de la législation actuelle, les services financés par la publicité ne reversent qu’une infime partie de leurs revenus par rapport aux services par abonnement. Il a attiré l’attention sur les données récemment publiées par la CISAC, qui montrent que, dans certains pays, les droits collectés auprès des services musicaux par abonnement sont quatre fois plus élevés que les droits générés par les plates-formes vidéo financées par la publicité, alors que ces dernières jouissent de plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde. Il a conclu par ces mots : « La CISAC appelle donc l’UNESCO à discuter plus en détail du problème du transfert de la valeur dans le contexte de la Convention. L’UNESCO doit commencer par reconnaître le problème et chercher ensuite des solutions pour contribuer à garantir la protection de la diversité culturelle et de la créativité dans l’environnement numérique. »

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Pour finir, Danielle Cliche, Secrétaire de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, a salué les efforts de la CISAC pour faire mieux comprendre le problème du transfert de la valeur. Elle a souligné l’importance des « Directives opérationnelles » élaborées par l’UNESCO à la demande des Parties à la Convention et les difficultés liées à leur mise en œuvre. Ces Directives, qui doivent avoir été approuvées par 145 Parties à la Convention au 15 juin, reconnaissent et valorisent le travail des créateurs dans l’environnement numérique et prônent la rémunération équitable des artistes et professionnels de la culture.