La conférence de l’OMPI sur le droit de suite rencontre un soutien massif en faveur d’une action internationale

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La campagne pour la mise en place d’un programme intergouvernemental visant à promouvoir l’adoption internationale du droit de suite a franchi une étape supplémentaire après la première conférence entièrement consacrée à ce droit qui s’est tenue au siège de l’OMPI à Genève.

La conférence, organisée par l’OMPI avant la réunion de son Comité permanent du droit d’auteur et des droits voisins (SCCR), avait été programmée par l’agence des Nations Unies en 2016. Elle visait à informer et mieux faire connaître ce droit aux États membres, examiner son impact économique et comprendre son importance pour les créateurs. L’évènement a rencontré un soutien massif en faveur d’une poursuite des actions de l’OMPI pour favoriser l’adoption universelle de ce droit.

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La conférence a attiré plus de 200 délégués (artistes, décideurs politiques, membres des sociétés et universitaires) et a été marquée par plusieurs temps forts :

  • le soutien au droit de suite exprimé par des artistes de renom de pays des toutes les régions, notamment la France, le Mexique, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Algérie et le Bénin ;
  • la confirmation, par une nouvelle étude sur l’impact économique du droit de suite commandée par l’OMPI et à paraître en septembre, que le droit n’a pas de répercussions négatives sur le prix ou le volume de vente des œuvres d’art ;
  • le soutien croissant exprimé par les délégués des États membres à la proposition du Sénégal et du Congo afin que l’OMPI continue ses actions de promotion de l’adoption universelle du droit de suite.

Le droit de suite permet aux artistes de toucher un pourcentage du prix de vente lorsque leurs œuvres sont revendues dans les salles de vente et les galeries. Il est appliqué dans plus de 80 pays, mais beaucoup d’artistes sont lésés dans les pays qui n’ont pas adopté ce droit dans leur législation nationale comme les États-Unis, la Chine, la Suisse et le Japon.

La conférence a été ouverte par deux grandes figures du débat sur l’adoption internationale du droit de suite : le Directeur Général de l’OMPI Francis Gurry et S. Em. Mbagnick Ndiaye, Ministre de la Culture du Sénégal. Francis Gurry a expliqué que plus de 80 pays appliquaient déjà le droit de suite, et qu’un certain nombre d’autres pays importants envisageait activement son adoption.  

M. Ndiaye a évoqué l’héritage d’Ousmane Sow, ancien Vice-Président de la CISAC et éminent sculpteur décédé à la fin de l’année dernière, qui était un ardent défenseur du droit de suite. Il a ensuite ajouté que le droit de suite permet d’établir un équilibre entre les artistes et ceux qui commercialisent leurs œuvres. « Les lois sur le droit de suite sont de la plus haute importance pour tous les artistes, quel que soit leur pays », a-t-il ajouté. 

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Les artistes visuels s’expriment

La conférence s’est ensuite penchée sur « Le développement international du marché de l’art » et « L’incidence du droit de suite pour les artistes ». Les créateurs ont souligné avec beaucoup d’éloquence la nature fondamentalement équitable du droit de suite et ses avantages pour les artistes. Ont ainsi pris la parole à tour de rôle Kazuhiko Fukuoji (Japon), Helal Zoubier (Algérie), Julio Carrasco Breton (Mexique), Hervé Di Rosa (Président du CIAGP), Romuald Hazoume (Bénin), Mattiusi Iyaituk (Ivujivik, Canada) et Richard Wentworth (R.-U.).

Les membres du panel ont insisté sur le fait que ce droit est une question de respect des artistes visuels. Ils ont également mis en avant la nécessité de l’adopter partout dans le monde afin que les artistes dont les œuvres sont revendues à l’étranger bénéficient du principe de réciprocité. « Le droit de suite doit être universel et équitable », a dit Hervé Di Rosa, artiste visuel français et Président du CIAGP.

Le droit de suite est particulièrement important pour les artistes des marchés en développement qui présentent un immense potentiel de croissance mais disposent de moyens inadaptés pour financer le travail des jeunes artistes visuels. « Je parle au nom de tous les artistes africains : vous devez agir maintenant, sinon nous devrons encore continuer à subir cette injustice », a déclaré Romuald Hazoume (Bénin). 

Dans une déclaration écrite, le créateur aborigène Nyurpaya Kaika a rappelé à l’auditoire l’importance de ce droit pour les communautés indigènes, « car le produit de la revente de nos œuvres nourrit nos enfants et nos petits-enfants ». Il a également souligné qu’il revient aux communautés indigènes elles-mêmes, et non à des analystes externes, de décider de l’intérêt de ce droit pour ces communautés. 

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Le droit de suite « n’a pas de répercussions sur le prix des œuvres d’art »

Autre temps fort de la conférence, les premiers résultats d’une nouvelle étude économique sur le droit de suite commandée par l’OMPI pour établir les bases du débat international ont été présentés. Katheryn Graddy de la Brandeis International Business School (États-Unis), coauteur de cette étude, a relevé que les salles de vente se sont inquiétées que le droit de suite puisse faire baisser les prix et, par conséquent, nuire aux jeunes artistes. Cependant, les résultats de deux études économiques contredisent clairement cette /hypothèse.  K. Graddy et l’universitaire française Joelle Farchy ont été chargées par l’OMPI d’étudier l’impact économique de la mise en œuvre du droit de suite.

Mme Graddy a présenté dans les grandes lignes une première étude comparant les tendances en matière de prix et de volume des ventes concernant plus de 570 000 œuvres d’art afin de mieux comprendre l’impact du droit de suite sur la période 1996-2007. Cette étude a établi qu’au Royaume-Uni, le prix des œuvres d’art soumises au droit de suite a augmenté en moyenne de 7,7 % par an, contre 5,5 % pour les œuvres non soumises au droit de suite.  

Elle a également affirmé qu’une étude de suivi commandée par l’OMPI « parvenait exactement aux mêmes conclusions » pour la période 2002-2014. Le rapport de cette nouvelle étude sera remis à l’OMPI « à la fin de l’été », a-t-elle annoncé.

Pour conclure sur les résultats de ses recherches, Mme Graddy a dit aux participants à la conférence : « Rien n’indique clairement que les prix aient baissé à cause de l’application du droit de suite. Les artistes le plébiscitent et il les encourage et les motive visiblement, ce qui est l’objectif premier de la protection de la propriété intellectuelle ».

D’autres données probantes des avantages du droit de suite pour les artistes ont été présentées aux participants. Au Royaume-Uni, la société des artistes visuels Design and Artists Copyright Society(DACS) souligne qu’elle a distribué plus de 50 millions de livres sterling à plus de 4 000 artistes et héritiers depuis l’entrée en vigueur du droit en 2006. En Australie, la collecte du droit de suite a commencé en 2010. En octobre 2016, elle avait déjà généré plus de 4,5 millions de dollars australiens et profité à plus de 1 275 artistes. 

Les chiffres de la CISAC prouvent l’intérêt du droit de suite pour les artistes au niveau mondial. Dans les pays qui l’appliquent, il a généré quelque 50 millions de dollars (44,9 millions d’euros) de droits collectés et représente 25 % de l’ensemble des collectes mondiales sur les arts visuels selon le Rapport sur les collectes mondiales 2016 de la CISAC.

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L’OMPI prend acte de la dynamique croissante en faveur du droit de suite et envisage les prochaines étapes

La Conférence de Genève a mis en évidence la dynamique croissante en faveur du droit de suite, le soutien universel des artistes et les avantages économiques d’une adoption du droit dans un maximum de pays. Des progrès sont déjà enregistrés dans certains pays clés, y compris la Chine (l’un des plus grands marchés de l’art du monde), dont le nouveau projet de loi sur le droit d’auteur prévoit l’introduction du droit de suite, de même qu’en Argentine.

Un nouveau rapport de l’OMPI doit être présenté dans le cadre du travail du SCCR. Il sera examiné avec l’étude sur l’impact économique du droit de suite pour les États membres de l’OMPI.  Une décision sera prise sur la façon dont les discussions doivent se poursuivre au sein du SCCR, ce qui serait déjà une avancée significative.

Pour conclure la conférence, la Directrice Générale adjointe de l’OMPI Sylvie Forbin a déclaré que les échanges de la journée montrent que le débat doit se poursuivre. Elle a ensuite ajouté que de plus en plus de pays souhaitent disposer d’un cadre juridique international sur la question. L’OMPI, a-t-elle affirmé, est là pour fournir un cadre de discussion et trouver des solutions pour aider les artistes à bénéficier du système international de protection du droit d’auteur. 

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L’OMPI et le Sénégal contribuent à promouvoir le droit de suite 

La veille de la Conférence, l’OMPI a organisé une soirée d’ouverture qui a réuni un certain nombre d’artistes, de représentants des États membres et de spécialistes. Le Directeur Général de l’OMPI Francis Gurry a souligné l’importance de ces discussion et apprécié les efforts du Sénégal et de la CISAC pour amener la question du droit de suite au cœur du débat international.

« La présence de cette importante délégation [sénégalaise] marque bien la considération que le Sénégal a toujours accordé à l’art, au patrimoine culturel et à la reconnaissance et à la promotion des artistes. Sous votre impulsion, le Sénégal n’a pas cessé de se mobiliser pour renforcer le droit d’auteur et s’assurer que les industries créatives sont reconnues comme l’un des moteurs du développement économique. »

Le Directeur Général a félicité les créateurs, qui « prouvent la vitalité de l’art partout dans le monde. Nous savons que le droit de suite représente non seulement une reconnaissance matérielle mais aussi morale de votre carrière artistique. »

 

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Corriger les lacunes de la loi 

M. Gurry a reconnu la nécessité du droit de suite et affirmé : « Le système de réglementation international est déjà bien élaboré pour les auteurs, producteurs, interprètes et auteurs de musique. Mais, en ce qui concerne les artistes visuels et plastiques, de nombreux pays ne leur offrent pas encore le cadre législatif nécessaire pour participer à l’émergence du marché mondial de l’art. Nous souhaitons que, grâce au droit de suite, ces artistes puissent s’intégrer dans la vaste communauté des bénéficiaires du droit d’auteur. »

Le Directeur Général de l’OMPI a également salué le rôle de la CISAC dans la mise en place d’un cadre favorisant l’adoption universelle du droit de suite et souligné qu’elle est à l’origine du mouvement international en faveur du droit de suite depuis le lancement de sa campagne internationale en 2014.

Le Ministre de la Culture et de la Communication de la République du Sénégal, Son Éminence Mbagnick Ndiaye a rendu hommage à la contribution de feu Ousmane Sow, ancien Vice-Président de la CISAC. « Source de fierté pour nous tous, M. Ousmane Sow, qui incarne ce qu’il y a de plus grand, de plus noble et de plus beau dans l’art africain, a laissé une part de lui parmi nous ».

Le Ministre a également évoqué le discours prononcé par Ousmane Sow devant les États membres de l’OMPI le 9 octobre 2015, dans lequel il a affirmé son désir « de voir tous les artistes visuels, où qu’ils soient, prendre part au succès commercial de leurs œuvres ». Il a également rappelé qu’il a déclaré : « L’adoption du droit de suite serait un bon moyen de prouver notre respect pour les créateurs. »

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